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Le fromage sauvé des eaux
Julien Dumas, nouveau chef du Saint James à Paris, nous parle d’un fromage de son enfance, le persillé de Tignes, de ce qui fait l’excellence d’un produit et de l’engagement nécessaire des chefs pour l’environnement et la biodiversité.
Julien Dumas, nouveau chef du Saint James à Paris, nous parle d’un fromage de son enfance, le persillé de Tignes, de ce qui fait l’excellence d’un produit et de l’engagement nécessaire des chefs pour l’environnement et la biodiversité.
Le persillé de Tignes nominé à l'Arche du Goût par le Chef Julien Dumas du Saint James Paris en France.
Julien Dumas nous accueille dans le cadre magnifique du Saint James. Il a pris possession des cuisines de cet hôtel particulier parisien Relais & Châteaux en juin dernier. Auparavant, il avait officié au restaurant Lucas Carton, s’y révélant le digne héritier d’Alain Senderens, monstre sacré de la Nouvelle Cuisine.
Face à ce nouveau défi, Julien fourmille de projets : un potager à 50 km de Paris pour fournir sa cuisine, un jambon de Paris réalisé avec une race rustique de cochon… Il travaille en direct avec 64 producteurs sélectionnés au fil du temps, parmi lesquels Zone Sensible, la dernière ferme de Saint-Denis. Il s’engage pour la pêche durable en privilégiant les techniques artisanales, plus respectueuses de la mer et de la chair des poissons, et en valorisant les espèces injustement méprisées telles que chinchard, tacaud ou mulet. « L’excellence d’un produit dépend de la façon dont il est élevé, pêché, cultivé, conservé… C’est ça le vrai luxe. » résume-t-il.
On pouvait donc s’attendre à ce que pour Food for Change 2021, Julien Dumas choisisse un produit issu de ses mille projets d’aujourd’hui. Mais il a préféré sa madeleine à lui, le persillé de Tignes, un goût d’enfance. Julien a grandi dans les Alpes, les plaisirs de la table l’ont toujours fasciné mais il avait du mal avec les fromages de chèvre. Le persillé de Tignes fut son initiation.
Ce fromage tarentais est réalisé à base de lait cru de chèvre auquel on ajoute un pourcentage variable de lait de vache. Autre originalité : il est fabriqué avec le caillé — produit de la coagulation du lait — de plusieurs jours, héritage d’un temps où les troupeaux étaient plus petits et le volume de la traite ne justifiait pas une production quotidienne. Son autre singularité est liée à son nom : ce « persillé » n’est pas forcément bleu, comme le sont le Roquefort ou le Stilton. Sa pâte n’étant pas ensemencée comme ces deux derniers, des marbrures bleues peuvent s’y développer — ou pas — à l’issue d’un long affinage. Une caractéristique qu’il partage avec le persillé des Aravis, le bleu de Termignon et le Castelmagno, de l’autre côté des Alpes, tous trois embarqués sur l’Arche du Goût comme lui. « Le persillé de Tignes a bien sûr sa place sur un plateau de fromages » explique le chef, « mais vu sa texture friable, on peut aussi l’utiliser en copeaux dans une salade, râpé sur un chou-fleur au four… ».
Mais si sa tradition remonte au moins au 18ème siècle, le persillé de Tignes n’est désormais plus produit que dans une seule ferme, celle de la famille Marmottan. Le barrage de Tignes construit dans les années 1950 a englouti l’ancien village et forcé la population à se déplacer, abandonnant maisons, fermes et étables. Le tourisme de montagne, alors en plein essor, a semblé plus porteur que ces pratiques ancestrales exigeantes — on est à 2 000 m d’altitude, ne l’oublions pas.
« Il faut mettre en valeur ce fromage pour stimuler de nouvelles vocations, c’est notre rôle de chefs ! » nous dit Julien. « Il est indispensable aujourd’hui que les chefs prennent le tournant de l’attention à l’environnement et de la protection de la biodiversité. Je me retrouve dans la famille Relais & Châteaux, » conclut-il « parce qu’elle est légitime à jouer le rôle propulseur pour ce changement qui, aussi en cuisine, ne peut plus attendre. »
Relais & Châteaux comme une famille, ça revient souvent…