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La Bouitte sublime
le patrimoine de la Savoie
Avec son restaurant siglé 3 macarons au Michelin et son hôtel 5 étoiles, La Bouitte délivre un savoir-faire d’excellence et un attachement au terroir savoyard, avec lesquels elle a décroché, en 2020, le label d’« Entreprise du Patrimoine vivant ».
Avec son restaurant siglé 3 macarons au Michelin et son hôtel 5 étoiles, La Bouitte délivre un savoir-faire d’excellence et un attachement au terroir savoyard, avec lesquels elle a décroché, en 2020, le label d’« Entreprise du Patrimoine vivant ».
Au cœur de la Savoie, la vallée des Belleville est un bout du monde exquis à la réconfortante sérénité. C’est là, dans le hameau de Saint-Marcel, altitude 1502 mètres, que se blottit La Bouitte, « petite maison » en patois savoyard, en réalité monumentale construction aux toits pentus, posée sur d’épais murs de pierre et toute habillée de bois. La Bouitte est une histoire patrimoniale au pluriel : patrimoine familial, architectural et, évidemment, culinaire. La famille ? Les chefs René et Maxime Meilleur, père et fils, y œuvrent de concert avec leurs épouses respectives, Marie-Louise, maîtresse de maison, et Delphine, maître d’hôtel.
C’est en 1976 que René et Marie-Louise Meilleur érigent « le chalet de [leurs] rêves » pour y ouvrir un restaurant dans lequel ils déclinent des spécialités montagnardes — fondue, raclette, entrecôte… —, « simples et généreuses ». La carte résiste jusqu’à un soir mémorable de 1981 et un dîner chez Paul Bocuse, « un choc gustatif » qui provoque le déclic. « Après cette date, se souvient René Meilleur, on a compris qu’il fallait s’orienter vers une cuisine plus élaborée et créative, et se rapprocher du terroir local : l’agneau du paysan du coin, le poisson du lac, les herbes de la montagne, etc. Petit à petit, on a retiré les appareils à raclette et mis de belles assiettes. On a commencé à bien “travailler” à partir de 1985-86 ». Tant et si bien que jaillissent les étoiles : la première en 2003 (« C’était le bonheur, on sentait qu’on entrait dans une famille », dixit René Meilleur), la deuxième cinq ans plus tard, avant la consécration, les 3 étoiles, en 2015.
En parallèle, le chalet, lui, s’agrandit, en 2000, pour loger 8 chambres, puis continue à prendre ses aises pour passer à 15 chambres, dont 7 suites. Un lieu qui, au fil du temps, devient certes labyrinthique, mais un dédale dans lequel on aime à se perdre, tant il est chaleureux. Matériaux du cru — lauze ou ardoise, pierre bleue, charpente en mélèze et autres planches centenaires issues d’anciennes bergeries — contribuent à la quiète atmosphère. Idem, dans les chambres, avec les douillets textiles — rideaux, couvertures, sièges — tissés par la filature Arpin, à Séez, à une heure de route.
La décoration, elle, n’est ni plus ni moins qu’un hymne à l’art populaire savoyard du XVIIème au XIXème siècle. Mobilier d’abord : chaise, table, vaisselier ou armoire à grain. Ustensiles et objets ensuite : moule à beurre, bénitier portable ou coffre ouvragé. « Je trouve incroyable que des gens aient dessiné des formes aussi belles pour un usage de tous les jours », glisse René Meilleur, sous le charme. Même le chariot à fromages, sur lequel s’épanouissent des valeurs sûres tels le beaufort du Nant Brun ou la tomme de brebis du Châtelard, est, à lui seul, une ode à l’artisanat !
Qu’il s’agisse des espaces communs ou des chambres, les découvertes sont légion. Ici, une série de cloches venues de prestigieuses manufactures chamoniardes. Là, une collection d’assiettes et de poteries chinées en Haute-Savoie. L’une des salles à manger arbore un splendide plafond peint baroque agrémenté d’angelots sculptés, joli clin d’œil à ce chef-d’œuvre du XVIIème siècle qu’est la chapelle Notre-Dame-de-la-Vie, à admirer à la sortie du hameau, sur le sentier du Pèlerin qui mène à Saint-Martin-de-Belleville.
Derrière la vaste porte coulissante vitrée qui s’ouvre tel un mouvement perpétuel, se dévoile la cuisine, dans laquelle le ballet d’une brigade coiffée de bérets blancs est réglée au cordeau par un duo de chefs minutieux, René et Maxime Meilleur, respectivement 71 et 46 ans. Avec un tel patronyme, on se doit d’exceller. Pas étonnant s’ils ont affiché sur un mur un adage signé… Léonard de Vinci : « Les détails font la perfection et la perfection n’est pas un détail. » Le « perfectionniste » semble être Maxime, alors que René, lui, est réputé davantage « poète ». Dans cette cuisine où le fils avoue s’être faufilé un peu par hasard (« Un jour, c’était en 1996, je suis entré pour y faire une crème anglaise et je n’en suis plus ressorti. Il y a, ici, une authenticité et une sincérité que l’on ne retrouve pas ailleurs. »), le tandem opère à quatre mains. « Nous connaissons nos recettes par cœur, d’où des automatismes, explique le père. Nous travaillons comme deux peintres sur un même tableau, chacun ajoute sa touche, de manière naturelle, et nous finalisons ensemble ». Observer la virtuosité avec laquelle ils métamorphosent des plats en apparence simples en prodiges de subtilité fascine à l’envi. « La difficulté est de sublimer, sans dénaturer », souligne Maxime Meilleur.
Ainsi, les ravioles revisitées au reblochon s’immergent dans un court-bouillon d’oignons accompagné de rouelles frites. Et la fera du lac Léman, en filet, se drape d’une fine feuille de pain croustillante, dans un beurre blanc mousseux à la Roussette. Un plat escorte toute l’histoire de La Bouitte : l’escalope de foie gras de canard poêlée, perchée sur une galette de maïs frais et nimbée de miel de Saint-Marcel et d’un réduit de vieux vinaigre. À l’autre extrémité de la carte, un dessert envoûte : le Lait dans tous ses états, petite « architecture » immaculée mixant moult matières premières — lait de brebis, de chèvre et de vache — et textures — poudre, mousse, yaourt, beurre, meringue, sorbet, confiture —. Un plaisir gourmand absolu, et régressif à souhait. Pour qui le souhaite, René et Maxime Meilleur personnalisent un menu Carte blanche de 3 à 8 plats-surprises, mariant désirs du client, arrivages du matin et… inspirations du moment. La cave — un millier de références — est, paraît-il, l’une des mieux nanties des Alpes, avec des millésimes, « patrimoine » oblige, remontant jusqu’à… 1937.
Chez les Meilleur, le voyage culinaire s’achève fatalement au coin du feu avec d’ultimes douceurs, dont l’incontournable « cruche », d’après une recette signée Gisèle, la maman de René. Ledit gâteau fait d’ailleurs partie de la myriade de souvenirs gustatifs d’enfance que le chef recense, depuis 2018, au sein du Conservatoire des recettes de montagne, qu’il préside. On l’aura compris : le terroir avant tout. Même le spa apporte son écot à cette quête, vantant ses bains au lait et au miel, voire au foin coupé des alpages…
Les plus téméraires, enfin, ne sauraient manquer ce rendez-vous fixé à l’accueil dès potron-minet (6h30 !), avec à la clé : montée en chenillette à 2700 mètres d’altitude, petit-déjeuner au sommet et, pour les skieurs, première descente dans la poudreuse vierge, avant ouverture des remonte-pentes. Les contemplatifs, eux, ne dégusteront rien de moins qu’un… lever de soleil sur le Mont-Blanc. Ou mieux, juste avant que l’astre n’apparaisse et au point situé à l’exact opposé, ils pourront admirer durant quelques minutes, juste en-dessous de ces lueurs roses appelées Ceinture de Vénus, une ligne épaisse et courbe couleur bleu ardoise : l’ombre de la Terre projetée sur l’atmosphère. Un régal !