Publié le 08/02/2022

La Venise des Vénitiens

Habitués au flot constant de touristes venus du monde entier, les Vénitiens ont pu se réapproprier leur ville durant la pandémie de Covid. Alain Bullo, maître de maison du Londra Palace Hotel et Vénitien de naissance, nous révèle quelques joyaux méconnus de la remarquable cité insulaire.

La Venise des Vénitiens

Le Grand Canal depuis le Rialto

Habitués au flot constant de touristes venus du monde entier, les Vénitiens ont pu se réapproprier leur ville durant la pandémie de Covid. Alain Bullo, maître de maison du Londra Palace Hotel et Vénitien de naissance, nous révèle quelques joyaux méconnus de la remarquable cité insulaire.

Maitre de maison du Londra Palace, Alain Bullo, Vénitien de naissance, a non seulement un lien singulier avec l’établissement qu’il dirige depuis 20 ans mais aussi un attachement depuis toujours à cette cité sur l'eau, unique au monde. L’an prochain, le Londra Palace soufflera 170 bougies. Autant dire un marqueur historique pour l’hospitalité dans la Sérénissime ! Des célébrités à l’image de Gabriele D’Annunzio, Jules Verne, Jose Luis Borges y ont séjourné, et le compositeur Piotr Illitch Tchaïkovski y aurait même composé une partie de la symphonie n°4. Initialement baptisé Pension d’Angleterre, l’établissement va trouver sa configuration actuelle en 1865 une fois réuni avec le Beau-Rivage voisin. Le style néo-Lombard de ce dernier donne alors un rythme insolite à la façade d’un blanc immaculé et qui, fort désormais de sa centaine de fenêtres ouvertes sur le grand canal, en impose sur la Riva degli Schiavoni. Le nom de Londra Palace lui sera finalement donné dans les années 1970.
 

Photo de gauche :  Le Londra Palace sur la Riva degli Schiavoni depuis le Grand Canal 
Photo de droite :  Alain Bullo, près de l’Arsenal, sur le Campo de le Gorne


Le père du maître de maison Alain Bullo travaillait déjà là depuis quelques années quand il y rencontra sa jeune épouse, une Française venue passer des vacances en famille. Elle y reviendra quelques années plus tard pour s’y marier au jeune portier qui gravira les échelons jusqu’au poste de concierge. Né de cette union franco-italienne, Alain Bullo est avant tout Vénitien et donc, on le comprend, son histoire croise très tôt celle du Londra Palace. « Je n’avais pas forcément pensé venir travailler dans le même hôtel que mon père mais les hasards de la vie en ont décidé autrement. Peut-être était-ce déjà un signe lorsque ma mère m’a mis au monde à quelques pas de là, à la maternité de Pio Ospedale della Pietà ». Durant son enfance, alors qu’il passe voir son père au Londra Palace, il va régulièrement arpenter le quartier de Castello qu’il va vite connaitre comme sa poche. « On est à deux pas de la place Saint Marc et du Grand Canal, mais cette partie de Venise a su rester intacte, avec un charme sans artifice ».
 

La salle à manger du restaurant Do Leoni, au Londra Palace
Le Palais des Doges sur la place Saint-Marc


Pourquoi alors ne pas se laisser entrainer par un vrai Vénitien pour découvrir cette autre facette de la Cité des Doges. « À côté de l’hôpital della Pietà, vous trouvez l’église éponyme où Antonio Vivaldi et Francesco Gasparini étaient chargés de l’éducation musicale des orphelins de la maternité » mentionne-t-il tandis que nous quittons le quai. Direction le campo Bandiera e Moro qu’il affectionne particulièrement. Et pour cause, il s’y est marié il y a maintenant plusieurs années à l’église de San Giovanni in Bragora. Cheminement faisant, on passe devant un petit passage nommé Sotoportego dei Preti. Lieu d’une autre d’histoire d’amour, raconte-t-on, en entre un pécheur et une sirène. « Venise regorge de ces lieux secrets et légendes devant lesquels les touristes passent sans forcément prêter attention ». Un peu plus loin, une passerelle en bois enjambe la ruelle pour rejoindre un jardin suspendu d’où déborde une végétation luxuriante. Puis, une autre place, une autre église… forcément, Venise ne compte pas moins d’une centaine d’édifices religieux.
 

Canaux du Sestiere Castello, derrière le Londra Palace
 La « station » des gondoles de la Riva degli Schiavoni


On est aussi frappé par ce calme et cette quiétude qui semblent porter Venise. Comme un retour à une forme d’authenticité qui sied si bien à la cité des Doges.  « Les anciens disent volontiers que les effets de la COVID-19 sur les flux touristiques leur ont permis de redécouvrir la Venise de leur jeunesse, celle où l’on pouvait flâner tranquillement dans les ruelles ou traverser le Rialto sans avoir besoin de se frayer un chemin au milieu de la foule. Presque paradoxalement, la vie des Vénitiens a gagné en qualité au cours des derniers mois ». Un constat qui impactera sans aucun doute la gestion touristique de la Venise du monde d’après, déjà d’ailleurs libérée depuis quelques mois de la présence des paquebots.

La promenade nous a conduit jusqu’aux murailles de l’arsenal. « Mon père me racontait qu’il venait jouer aux billes ici sur les socles en pierre, creusés par le temps, des deux Lions du Pirée du Campo de l’Arsenal ». Le temps d’un espresso Al Leon Bianco, et nous voilà à bord d’un bateau-taxi. Alain Bullo veut nous montrer que les attraits vénitiens ne se limitent pas à l’île principale mais se déploient à travers toute la lagune.

Direction Burano, ses maisons de pêcheurs colorées et… sa trattoria Al Gatto Nero. « C’est une adresse où je viens depuis toujours car Lucia et Ruggero Bovo n’ont pas leur pareil pour cuisiner le poisson ». À la carte notamment des raretés comme des œufs de seiche, des moeche - les crabes mous de la lagune, frits - ou un très savoureux risotto ai gò « un poisson plein d’arêtes typique de la lagune mais riche en arômes ».
 

Les façades colorées des habitations sur l’île de Burano
La trattoria Al Gatto Nero et son chef Ruggero Bovo


En guise de promenade digestive, Bullo propose de nous emmener à deux jets de pierre de Burano, sur une île très peu connue : l’Isola del Deserto uniquement occupée par un couvent. « De retour d’Egypte en 1220, Saint François s’est arrêté ici pour méditer. Quelques années plus tard, l’île a été léguée à l’ordre des Franciscains des Frari de Venise » explique l’un des derniers frères franciscains vivant ici. L’endroit est d’un calme absolu, d’une beauté sans artifice, presque hors du temps, et l’on comprend pourquoi le religieux y avait trouvé refuge. 

Sur le retour vers le Londra Palace, Alain Bullo tient à nous faire découvrir une dernière « curiosité » de la lagune : les vignobles du domaine Orto. « San Erasmo est reconnu pour ses artichauts, les Castras Ure, mais un Français, Michel Thoulouze, installé ici depuis une quinzaine d’années s’est mis en tête de faire du vin à partir de cépages antiques dont la Malvoisie istrienne. Le résultat est vraiment remarquable ». Si d’autres initiatives ont depuis fleuri sur d’autres îles, l’ancien patron de télé a en effet été le pionnier de la renaissance viticole dans la Lagune, ne s’épargnant en analyse et travail des sols, ainsi qu’en expérimentations agricoles, des plus naturelles, pour livrer un blanc à la fois minéral et très aromatique. La nuit tombante ne nous permet pas de faire une dégustation. « Qu’à cela ne tienne, le Londra Palace a référencé l’ORTO à sa carte. Il est parfait pour un apéritif », nous rassure Alain Bullo, tandis que la silhouette de la statue de Victor Emmanuel II faisant face à l’hôtel se profile.
 

Photo de gauche : Escapade à travers la lagune en bateau-taxi 
Photo de droite :  Le canal « principal » de Burano
Photo de gauche : Le campanile de l’île de Mazzorbo
Photo de droite : L’un des frères franciscains vivant encore sur l’île San Francesco del Deserto
Au domaine ORTO, en compagnie de Michel Toulouze, sur l’île de Sant’Erasmo
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