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Les cueilleurs de thé du Yunnan
L’hôtelière-écrivain Marie-Christine Clément partage pour Instants son carnet de voyage en six « moments délicieux » à travers la Chine et ses cultures traditionnelles. Première étape de ce périple au bord du fleuve Lancang, dans la région d’origine de l’arbre à thé.
L’hôtelière-écrivain Marie-Christine Clément partage pour Instants son carnet de voyage en six « moments délicieux » à travers la Chine et ses cultures traditionnelles. Première étape de ce périple au bord du fleuve Lancang, dans la région d’origine de l’arbre à thé.
Il faut longer la piscine pour trouver le chemin. Le pavillon est situé en contrebas, un peu à l’écart. On ne l’aperçoit pas tout de suite puis il s’annonce comme une évidence. Je sentais sous mes pas les galets ronds et polis et me laissais porter par la pente naturelle de l’allée, protégée par l’ombre des arbres, bananiers, bougainvilliers, manguiers. Les jardins de thé s’étendaient de chaque côté comme les doigts d’une longue main maladroitement dessinés. Une poule maigre suivie de ces poussins picorait le pieds des arbustes. Seul le bruit des feuilles mortes qui craquaient sur son passage signalait sa présence. Ce matin-là, une odeur de menthe se levait de la terre encore fraîche de rosée. J’entrais dans le pavillon. Il sentait le bois vernis et les tapis de sol caoutchoutés. Des vases rouge sang posés sur des consoles contenaient des branches aux feuilles luisantes. J’ouvrais grand les fenêtres. Des fleurs de thé flétries jonchaient la terrasse en bois. On aurait dit de petites abeilles saoules égarées sur le ponton d’un bateau en partance. Je prenais de longues respirations. J’inspirais ce vert lissé, l’odeur du printemps de cette montagne de Jingmaï où, à quelques pas, des hommes ont pour la première fois cultivé du thé. Ils se nomment Lahu, Bulong, Daï, Yi ou Wa et vivent encore dans des vallées reculées, cultivent quelques arpents de terre et, revêtus de leurs habits chamarrés, descendent au grand marché de Lancang dans la poussière et le bruit des motos haletantes vendre épis de maïs, essaims sauvages, thé compressé, galettes de sarrasin ou colifichets. La veille, j’avais mangé des poissons du Mékong, des fleurs blanches de Bauhinia, des feuilles de thé amer et du miel d’orchidée. Guidée par une musique lancinante, je commençais à mouvoir mon corps lentement, le réfrénant dans sa quête haletante encore toute imprégné des agitations citadines, lui imposant le silence, les torsions contrôlées, cette attentive aspiration au vide qu’impose le yoga. Quand je rouvrais les yeux, ils étaient là. Un, puis deux, trois, quatre enfin. Les cueilleurs de thé arrivaient. Un homme, quelques femmes, protégés du soleil naissant par des chapeaux de toiles qui recouvraient leur nuque, panier en osier ceint autour de la taille. Courbant l’échine, les mêmes gestes attentifs, un bourgeon, deux feuilles, répétés à longueur de journée, choix minutieux de cette écume tendre pointant au milieu d’une mer verte moutonnante qui semblait sans fin. Quand je repartais, un sac rempli de cette précieuse provende jonchait le sol. Les poules picoraient non loin. Le soir, je pourrais respirer dans un petit bol fragile cette odeur jaune ineffable, florale, ronde et douce, mâtinée d’un soupçon de fraîche amertume, le Seng Cha de Jingmaï, le goût du thé des origines.