L’essence de l'Argentine :
le chef qui rallume la flamme pour la gastronomie locale
Dans un pays réputé pour ses vins et sa viande, certains gastronomes passionnés cherchent à étoffer les perceptions de leur répertoire culinaire. L’un d’eux, Gonzalo Aramburu, présente une palette toujours plus large d’arômes locaux au sein de son restaurant éponyme deux étoiles au guide Michelin.
Dans un pays réputé pour ses vins et sa viande, certains gastronomes passionnés cherchent à étoffer les perceptions de leur répertoire culinaire. L’un d’eux, Gonzalo Aramburu, présente une palette toujours plus large d’arômes locaux au sein de son restaurant éponyme deux étoiles au guide Michelin.
Sur les pavés brulants de Buenos Aires, au plus chaud de l'été, nous sommes venus rencontrer Gonzalo Aramburu. Vêtu d’un simple T-shirt et jean, avec cette décontraction typique de la capitale, il déambule dans le quartier huppé de son restaurant – qui est aussi celui où il vit – Recoleta, secteur chic de la ville, à la fois vivant et animé. Le chef Aramburu n’est pas né dans une famille de gastronomes. Son père est avocat et il a perdu sa mère, enseignante, à l’âge de 9 ans. Il a commencé la cuisine comme un jeu, et puisque l’école n’était pas vraiment son truc, il a suivi sa passion. « J’ai réalisé mon tout premier stage dans le restaurant La Bourgogne de Jean-Paul Bondoux dans l’hôtel Alvear. [Chef actuel du restaurant Relais & Châteaux La Bourgogne en Uruguay]. Je ne travaillais pas directement avec lui, étant affecté à la partie room-service, mais j’ai compris que j’étais à ma place », déclare-t-il.
Il enchaîne ensuite les expériences pour parfaire sa formation : d’abord à Miami, puis à Paris, ensuite à San Sebastián, en Espagne, auprès de Martín Berasategui ; retour à New York chez Daniel Boulud et à Chicago avec Charlie Trotter. « Des chefs argentins, jeunes ou moins jeunes, on en trouve dans les cuisines des meilleurs restaurants du monde », affirme-t-il. « Personnellement, j’ai décidé de revenir vivre à Buenos Aires. C’est ici qu’est ma vie, ma famille ». Il ouvre son premier restaurant en 2007, pas forcément à l’endroit qu’il veut, mais où il peut, dans le quartier Constitución de Buenos Aires, près de la gare du même nom. Il y restera 10 ans, peaufinant son art, sa vision d’une cuisine gastronomique qui au fil des ans, ne coïncide plus vraiment avec le quartier devenu sensible. Il est temps de trouver un nouveau chez-soi, où peut totalement s’épanouir son concept.
Aujourd’hui, Recoleta abrite les plus beaux hôtels de la ville, des boutiques élégantes, des touristes venus visiter le célèbre cimetière (où est enterrée Eva Perón), les résidents qui visiblement trouvent ici tout ce dont ils ont besoin et ne quittent le quartier que pour rejoindre leurs résidences secondaires. Si l’été, ils se font moins nombreux au restaurant du chef Aramburu, plutôt fréquenté par des étrangers en quête d’une atmosphère accueillante, ils lui restent fidèles. C’est clairement parmi eux qu’il se sent le plus détendu : ici se trouve le parc où il joue avec sa fille, là le chemin où le promeneur de chiens emmène ceux-là mêmes du chef. Au coin d’une rue, le marchand de fleurs qui lui compose ses bouquets, un peu plus loin un café branché où discrètement il nous indique que le très élégant et âgé monsieur en costume est un éminent journaliste.
Bien connu, le chef l’est peut-être dans son quartier, mais pas encore une icône nationale pour l’heure, malgré sa 36e place dans le classement 2022 des Latin America's 50 Best Restaurants et ses toutes récentes deux étoiles au guide Michelin. « Les chefs ne sont pas encore des stars en Argentine, et sont encore moins bien connus à l’étranger. Nous avons tout juste le temps de nous occuper de notre business, pas de temps pour la promotion. Avec les problèmes d’inflation, les changements politiques et des règles toujours différentes, c’est compliqué de construire quelque chose ici ». Dans le Pasaje del Correo, impasse débouchant sur une artère animée, il a ouvert début 2018, le bistro Bis, une table simple où les habitués se régalent de salades, de croquettes, de hamburgers de grillades. Peu de temps après, il ouvre un restaurant gastronomique dans le local qui lui fait face, à l’origine un entrepôt. C’est là, en 2022, qu’est apparu à côté de la porte du restaurant Aramburu, un certain emblème, celui de Relais & Châteaux. Un accomplissement dont le chef Gonzalo Aramburu n’est pas peu fier : « Quand, à l’âge de 20 ans, j’ai commencé à cuisiner, je me souviens avoir feuilleté un guide Relais & Châteaux pour voir où je pourrais partir en stage » explique-t-il. « Être aujourd’hui accepté dans cette famille, c’est un rêve réalisé ».
Gauche : La magie d’Aramburu à l’heure du coup de feu.
Droite : Tartare de pastèque et chevreuil.
Nous franchissons le seuil et entrons immédiatement dans l’univers de Gonzalo Aramburu, totalement déconnectés de l’agitation qui règne derrière nous. La salle est plongée dans une certaine obscurité, les tables largement espacées, le regard des convives orienté vers la cuisine déployée en vue panoramique. C’est sur elle que toute l’attention est tournée, sur les gestes précis et la concentration intense de la brigade du chef. Le sobre décor, l’éclairage, la façon dont les tables sont dressées, tout participe à un voyage culinaire de 16 à 18 plats, selon la saison, révélant la connexion entre nature et cuisine, avec des produits exclusivement sourcés en Argentine.
C’est précisément ce qui maintenant définit la gastronomie du chef Aramburu, vitrine d’un terroir méconnu, une prise de position née d’une nécessité et une prouesse qui est devenue, au quotidien, un accomplissement. « Quand j’ai ouvert il y a 5 ans, je pouvais importer tout ce que je voulais. Ce qui est devenu impossible à cause de la crise économique », explique-t-il. « C’est comme ça que j'ai appris à travailler avec les produits locaux. Ils ne sont pas faciles à trouver, mais il y a, dans notre région, beaucoup de producteurs qui font des choses extraordinaires. Nos vins et notre bœuf ne sont que la porte d’entrée de toute notre identité culinaire. La suprématie de la viande est telle que personne ne s'intéresse aux produits de l’océan. La grande partie de nos crevettes et langoustines partent au Japon et en Europe. Nous avons d’excellents poissons en Patagonie près d’Ushuaïa, mais ils sont vendus à l’étranger parce que ça rapporte plus d’argent. Les produits de bonne qualité partent ailleurs et c’est tous les jours que je dois batailler pour en avoir ».
Sur la table de l’Aramburu, la cuisine illustre donc le parcours personnel du chef : son identité constituée de la somme de ses expériences et aventures passées, de ses voyages, de l’influence de ses maîtres et – en son cœur – de la qualité des meilleurs produits argentins imaginables. Chacun des plats révèle une grande attention portée aux détails. Beaucoup ont été conçus en harmonie avec la vaisselle que la céramiste italienne Antonella Meloni, installée dans la capitale, imagine spécialement pour lui : d’exquises interprétations en céramique, agréables au toucher, qui prennent l’aspect d’un galet ou d’une brindille, avec des textures et des formes inspirées par la nature. « Peu de temps avant notre ouverture, un ami m’avait recommandé son travail et je suis allé à son atelier. Je n’avais jamais vu ce genre de travail, » déclare Gonzalo Aramburu. « Elle ressent la nature de la même façon que moi. Je lui donne simplement des photos de textures et de couleurs que je trouve en voyageant : une terre craquelée de Patagonie, le motif d’un lit de rivière à sec… »
Droite : Sériole, chou rouge, hibiscus, poivron jaune et huile aux herbes.
Et voilà comment sur la table surgit un paysage, un tableau. Une huître en sabayon déposée sur un écrin de céramique en forme de coquille. Un magnifique terre-mer, poisson et betterave aux couleurs chatoyantes, des beignets de fleurs de courgette à cueillir sur un tapis de fleurs, un splendide tartare de chevreuil à envelopper d’une feuille de shiso et à croquer du bout des doigts, de délicates brochettes de crevettes de Patagonie, accompagnées d’un jus acide et rafraîchissant à boire au creux d’une pierre qui n’en est pas une, mais qui est un contenant créé par Antonella. Gonzalo Aramburu est bien ancré dans sa vie et dans sa ville natale, n’éprouvant pas le besoin d’aller voir ailleurs ni d’ouvrir d’autres restaurants ailleurs, même si parfois les propositions abondent. Au lieu de ça, il met toute son énergie au service de ses établissements existants, mais aussi de sa communauté locale.
Sa prochaine étape est la mise en œuvre d’un plan visant à adopter des méthodes de travail plus durables, plus régénératrices, en parfaite harmonie avec la planète. Il réfléchit d’abord à la manière de récupérer l’eau de pluie et de la filtrer pour l’utiliser au sein de ses restaurants ; il projette ensuite de planter un potager sur les toits des immeubles de l’impasse, dans l’objectif de cultiver sur place tout ce qui peut l’être. Ces deux idées sont typiques d’un esprit novateur qui illustre simplement la raison pour laquelle il est à l’avant-garde d’une révolution au sein de la cuisine argentine et une inspiration pour les autres : « Nous travaillons sur un vaste plan pour développer notre responsabilité environnementale. C’est une nécessité d’aborder le sujet ou au moins d’essayer. »