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Chefs particuliers pour cuisine particulière
LA GASTRONOMIE TIENT UNE PLACE FONDAMENTALE DANS L’HISTOIRE DE RELAIS & CHÂTEAUX, qui fête ses 70 ans cette année. Dès les débuts de l’Association, l’importance d’allier l’hôtellerie à des restaurants de grande envergure créative est apparue comme une nécessité. Les chefs Relais & Châteaux mettent en œuvre cette philosophie aux quatre coins du monde, et chacun à leur façon. Alors qu’ils sont unis par des valeurs communes, ils ont à cœur de cultiver leur identité propre, celle qui fait de leur propriété une destination unique. Du Japon au Portugal en passant par la Nouvelle-Zélande et l’Italie, plongée dans les cuisines de ces artisans du goût à la vision singulière.
Le Québec dans l’assiette
LA TANIÈRE³, Québec, Canada
Pas un produit utilisé dans sa cuisine n’est issu de l’importation. François-Emmanuel Nicol, chef du restaurant Tanière3 à Québec ne s’impose qu’une contrainte : se limiter aux frontières de son territoire. Avec son équipe, il s’évertue à valoriser les produits méconnus du terroir québécois. Pour ses recherches, le Chef, passionné de sciences naturelles, s’appuie sur un biologiste, Fabien Girard. En résulte un menu minutieusement sourcé, associant le produit de cueillette sauvage en forêt avec son équipe (pollen de conifère, écorce de sapin fumée, clavalier d’Amérique) aux trésors de la production locale (monarde, Bœuf wagyu du Québec, Cerf de St-Elzéar). Enracinée dans son territoire, sa cuisine l’est enfin par le lieu historique que le Chef a investi pour la mettre en scène : les caves voûtées des maisons Leber et Charest construites en 1686, servant autrefois d’entrepôt aux négociants en fourrure et produits de luxe. Dîner dans ce lieu historique, c’est comme croquer un morceau du Québec.
« Dans notre démarche, nous avons le privilège d'apprivoiser des ingrédients sauvages inédits. C'est ce sens de la découverte que je souhaite transmettre à nos convives. »
Inspirée par la mer
WHAREKAUHAU COUNTRY ESTATE, Featherston, Nouvelle-Zélande
Quelque part en Nouvelle-Zélande dans un écrin de verdure, surplombant la baie de Palliser, se dresse Wharekauhau Country Estate, le havre de paix de la cheffe solaire Norka Mella-Munoz. Originaire du Chili et amoureuse du littoral, Norka a adopté la Nouvelle-Zélande au point d’en faire sa source d’inspiration quotidienne. Sa cuisine qu’elle qualifie de « chiwi », en référence à l’association de ses origines et de la cuisine traditionnelle locale kiwi, ne peut se passer des produits de la mer. Elle milite en faveur d’une consommation responsable et durable. La cheffe collabore avec des pêcheurs-plongeurs qui travaillent au harpon et uniquement sur commande. Son équipe venue du monde entier joue avec les produits du domaine de 1200 hectares. Dans ses recoins, elle y cueille cresson, wasabi, les produits du potager en permaculture ou encore les fruits du verger. Une récolte foisonnante qui dicte des menus joyeux.
« Notre cuisine est une représentation moderne de nos racines, de nos origines, combinée à l'abondance de cette terre. De la ferme à la mer en passant par la forêt, tout se trouve dans notre jardin. C'est ce qui rend Wharekauhau unique. »
Au cœur de la mythologie galicienne
PEPE VIEIRA — RESTAURANT & HOTEL, Poio, Espagne
Entre terre et mer, sur le flanc de la montagne qui domine l’estuaire de Pontevedra, se dresse Pepe Vieira, surnom du chef et nom du restaurant, deux étoiles au guide Michelin. Xosé T.Cannas y déploie une cuisine galicienne créative, parfois surréaliste, inspirée des récits de la mythologie locale. Le concept de « kilomètre zéro », récompensé d’une étoile verte en 2022, est autant travaillé dans la sélection des produits que dans les idées, grâce à la collaboration du chef avec un anthropologue. C’est le cas d’un plat emblématique dont l’oignon est l’ingrédient principal. Intitulé « Las Plañideras de Cangas », il rend hommage aux pleureuses légendaires du village voisin de Cangas. Les produits, parmi lesquels certains sont endémiques de la région, proviennent essentiellement du potager du restaurant ou de petites exploitations familiales caractéristiques de la Galice. Le chef les qualifie de « linéaires », car ils sont cultivés à la frontière entre la terre et la mer, et racontent l’histoire de tout un peuple.
« Je prétends seulement être l'intermédiaire entre une réalité naturelle extraordinaire et l'assiette. »
L'art de cueillir la montagne
TERRA — THE MAGIC PLACE, Sarentino, Italie
Courir pieds nus dans les prés, jouer dans les bois au milieu des pommes de pin, voici quelques-uns des souvenirs qui nourrissent la vision de l’hospitalité des frère et sœur, Heinrich et Gisela Schneider, enfants de la montagne. Perché au sommet du Tyrol, avec une vue époustouflante sur les Dolomites, Terra the Magic place est le projet de toute une vie. Dans cette maison familiale construite en 1975 par leurs parents, Heinrich et Gisela reçoivent aujourd’hui des hôtes venus du monde entier. L’objectif : partager avec leurs convives le bonheur de vivre dans les hauteurs. Alors que Gisela transmet sa passion du vin aux convives, son frère, Heinrich, cuisine et compose avec l’héritage légué par sa mère : une passion pour les herbes et les plantes sauvages. Autodidacte, il puise son inspiration dans la nature environnante, terrain de jeu de son enfance. Sa cuisine marie à la fois la cueillette (herbes sauvages, champignons, baies…) et le fruit de la petite production fermière locale. Son travail acharné a été auréolé d’une première étoile en 2008, puis d’une deuxième en 2017, suivie de l’étoile verte en 2023 consacrant la philosophie de cet établissement, durable par nature.
« Bien avant que la cuisine d'Europe du Nord n'influence la haute gastronomie, je m'intéressais aux herbes qui poussaient autour de la maison. Pour moi, cueillir des herbes n'est pas seulement un travail, c'est aussi une nécessité et une source d'inspiration pour ma cuisine chez Terra. J'aime surprendre nos clients avec de nouvelles expériences gustatives. »
Une peintre aux fourneaux
RESTAURANT DA VINCI, Maasbracht, Pays-Bas
Face à la Meuse, Margo Reuten, seule femme à la tête d’un restaurant étoilé des Pays-Bas, est la capitaine de son navire. Un navire prénommé « Da Vinci », en l’honneur de Léonard de Vinci qu’elle admire pour sa polyvalence, une qualité qu’elle trouve essentielle en cuisine. Empreinte de gastronomie française, ses créations sont élaborées à partir des produits de la région, parmi lesquels la viande provenant de la ferme créée par son père, à Maasbracht. Ici, le décor de l’ancien musée maritime a laissé la place aux tableaux colorés de la cheffe, également peintre autodidacte. Sur les murs comme sur les tables, elle apporte sa touche : de la couleur et des fleurs. Dans ses assiettes, la cheffe-artiste peint à nouveau des tableaux qu’elle parsème de fleurs. Aucun détail n’est laissé au hasard. Même le niveau de la mer prend place à table avec des nappes vert menthe en dessous et des nappes bleues au-dessus.
« Mon objectif est de progresser chaque jour dans mon processus créatif. J'y travaille en offrant chaque jour la même qualité à tout le monde, puis en l'affinant à plusieurs reprises. Mon inspiration vient de toutes sortes de choses qui m'entourent. »
Gastronomie française à l'excellence japonaise
OTOWA RESTAURANT, Utsunomiya, Japon
Kazunori Otowa fait partie de la première génération de cuisiniers internationaux venus en France dans les années 1970, tel un rite de passage, pour apprendre les techniques culinaires propres à la gastronomie hexagonale. Il fut le premier Japonais à travailler aux côtés d’Alain Chapel avant de rejoindre, entre autres, les cuisines de Michel Guérard. Dix ans plus tard, Kazunori Otowa regagne sa ville natale, Utsunomiya, située au nord de Tokyo, pour ouvrir son premier restaurant en 1981, puis pour parfaire un projet gastronomique qui voit le jour en 2007. Celui que les médias japonais surnomment le « patriarche de la gastronomie française » ne fait pas pour autant une cuisine de cet ailleurs. La technique est française, mais les produits sont japonais. L’ormeau en croûte, un des plats phares du restaurant, en est un parfait exemple, car ce dernier, cuit dans un bouillon dashi traditionnel, est adapté à la culture locale. La famille Otowa (presque tous les postes de direction sont occupés par des membres de la famille) tient à conserver un attachement à sa terre et un lien étroit avec ses producteurs et traditions.
« J’ai toujours été un chef, mais maintenant avec mes enfants et mon équipe à mes côtés, je suis davantage un chef d'orchestre chargé de créer une grande harmonie entre une cuisine élaborée à partir des ingrédients de Tochigi et un service chaleureux pour que nos hôtes se sentent « chez eux loin de chez eux ». »
Une cheffe au-delà des frontières
CANLIS, Seattle, Washington, États-Unis
Canlis, l’institution familiale de Seattle surplombant le Lake Union, a donné en 2021 un nouveau visage à ses cuisines. Ce visage est celui de la cheffe Aisha Ibrahim, première femme à occuper ce poste dans l’histoire de la propriété. Originaire des Philippines, elle fait partie d’une nouvelle génération de chefs à la cuisine libérée et au management plus humain. Sa cuisine est à l’image de son histoire personnelle, multiculturelle et sans frontières. Grandement influencée par le Japon et les Philippines, elle donne un nouveau souffle à la cuisine du nord-ouest du Pacifique. Elle impose le riz à tous les repas, comme pour respecter les usages de son continent d’origine, n’hésite pas à mettre des plats cuisinés par sa mère à la carte de son menu gastronomique, et revendique l’idée de s’amuser à table. Engagée contre le gaspillage, elle entend par là avoir une vision holistique de son métier et faire honneur aux produits issus de la terre, et de la mer. Une approche durable, respectueuse de la nature et de ses cycles.
« La cuisine américaine contemporaine de Canlis est une œuvre évolutive qui reflète la saison actuelle dans le nord-ouest du Pacifique. Elle tisse des liens entre les expériences culinaires qui ont eu un impact important sur ma carrière, et les réflexions sur mon histoire personnelle, celle d'une Américaine d'origine philippine. »
Un jardinier-pêcheur hors-norme
LA MARINE, Noirmoutier-en-l’île, France
Alexandre et Céline Couillon ont jeté l’ancre sur la pointe de l’île de Noirmoutier, là où la terre laisse place à l’océan. Depuis les fenêtres de leur restaurant La Marine, on peut observer les bateaux des pêcheurs auprès de qui le chef s’approvisionne quotidiennement. Celui que les médias surnomment le « magicien de la mer » a décroché sa troisième étoile en 2023. Elle récompense son travail de virtuose des produits marins, pour lesquels il éprouve un profond respect. Il est l’un des premiers cuisiniers français à pratiquer l’art japonais ikejime, une technique d’abattage indolore qui permet à la chair du poisson de conserver une tendreté exceptionnelle. S’il s’est fait un nom pour sa cuisine marine, Alexandre Couillon n’oublie pas de rappeler qu’elle est aussi végétale. Depuis 2016, le pêcheur marche sur les traces de son grand-père, il est devenu « marin-patate », surnom local du pêcheur-cultivateur. Sur l’exploitation de 3500 m2 attenante à son restaurant, Alexandre Couillon et son équipe cultivent plus de 80 % des légumes servis au restaurant. Son engagement sans faille pour le vivant a été récompensé de l’étoile verte en 2023.
« Ma cuisine est celle du vivant et de l'instant, en direct de notre potager et de l'océan. »
Diversité indienne dans l'assiette
MASQUE, Bombay, Inde
Masque est le premier restaurant d’Inde à proposer un menu dégustation. Sa tête pensante, Varun Totlani, est un chef indien qui a fait ses classes aux États-Unis avant de rejoindre sa terre natale pour en exprimer tout le potentiel. Sa cuisine place l’ingrédient au centre et célèbre la diversité des traditions culinaires indiennes. Pour ce faire, le chef et son équipe voyagent à travers l’Inde à la recherche de techniques culinaires et d’ingrédients méconnus. Cette curiosité sans faille, moteur de sa créativité, lui permet de marier ses connaissances gastronomiques à ces trouvailles régionales. Dans un savant mélange entre tradition et modernité, il met à l’honneur les marinades et fermentations, techniques centrales de la cuisine indienne, et en réinterprète les classiques. Il élabore notamment une nouvelle version de la boisson fermentée du centre nord de l’Inde appelée « kanji ». Traditionnellement préparée à base de carottes, graines de moutarde et épices, elle est agrémentée d’ingrédients inattendus tels que l’étoile de mer et le calamar.
« Masque est une célébration de l'Inde : sa nourriture, sa culture et sa diversité. Ces choses mêmes qui permettent à un endroit comme le nôtre d'exister. »
La culture au goût du jour
CASA GANGOTENA, Quito, Équateur
Situé dans le centre historique de Quito, l’ancien hôtel particulier de l’une des plus illustres et influentes familles de la ville, Casa Gangotena célèbre la tradition locale. Chef du restaurant depuis 2021, José Tamayo veut « honorer les plats traditionnels et les élever d’une autre manière ». Les convives peuvent être déroutés par la simplicité visuelle des assiettes et la complexité des saveurs. Par exemple, le « pesca del día » (poisson du jour) à l’intitulé commun et familier, est travaillé avec l’acidité de la mandarine et du gingembre, et la fraîcheur d’une huile de coriandre. Au bar, le même étonnement est cultivé, notamment avec le menu créatif Fiesta présenté dans des contenants oniriques façonnés par la céramiste locale Claudia Anhalzer. Elle veut donner à goûter l’âme des cocktails qui portent les noms évocateurs des fêtes populaires locales : Carnaval de Guaranda, Diablada de Píllaro, La Mama Negra, Fiesta del Maíz, Carnaval de Flores y Frutas, La Fiesta del Corpus Christi. Une façon audacieuse d’entrer, ou de faire entrer en soi, l’esprit des fêtes traditionnelles équatoriennes.
« Le concept de notre restaurant s'appelle « Cocina Mestiza ». Notre cuisine est un hommage aux ingrédients qui poussent, prospèrent et s'épanouissent dans notre pays à la biodiversité riche, qui abrite des chaînes de montagnes spectaculaires, des forêts tropicales luxuriantes d'Amazonie, des eaux riches du Pacifique et les inspirantes îles Galápagos. Avec respect, connaissance et verve culinaire, nous exaltons les ingrédients, les saveurs et les textures de nos origines, les transformant en une expérience gastronomique à la fois contemporaine et avant-gardiste : une histoire de notre héritage métisse et une célébration de notre identité équatorienne. »