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Canada, la cuisine du froid
De l’île de Fogo aux montagnes Rocheuses, en passant par La Belle Province, autrement dit le Québec, sept restaurants Relais & Châteaux invitent à explorer le Canada à travers la diversité de ses terroirs, une identité à laquelle chacun des chefs est profondément attaché.
De l’île de Fogo aux montagnes Rocheuses, en passant par La Belle Province, autrement dit le Québec, sept restaurants Relais & Châteaux invitent à explorer le Canada à travers la diversité de ses terroirs, une identité à laquelle chacun des chefs est profondément attaché.
Tous cultivent une grande proximité avec les producteurs locaux, maraîchers, fermiers et pêcheurs, qui s’engagent à pratiquer leurs activités dans le respect de l'environnement. Avec la durabilité en tête, ces cuisiniers éparpillés aux quatre coins de leur pays partagent une philosophie : celle de cuisiner le paysage et son histoire.
Le domaine comme ressource
Langdon Hall Country House Hotel and Spa, Cambridge, Ontario
Jason Bangerter a atterri dans les cuisines de Langdon Hall Country House Hotel and Spa, à Cambridge, à l’automne 2013, dans une majestueuse villa de la fin du XIXe siècle. « Entre jardins et forêt, Langdon Hall est un domaine d’une trentaine d’hectares, raconte-t-il. J’observe les saisons changer. C’est inspirant ». Ainsi, l’odeur du feu de cheminée le guide vers l’exploration du « fumé » qu’incarne une truite à la peau croustillante fumée au genièvre.
Le verger est le berceau de variétés de pommes anciennes, et le potager, des légumes-racines. Quelque 80% des ingrédients sont issus de la province ontarienne. À moins d’une demi-heure de voiture, les fermiers affinent cochons, poulets et agneaux. Un pêcheur de Colombie-Britannique, certifié Ocean Wise fournit saumon et thon.
Les fruits de mer – le plat “Goût de l’océan” associe crabe royal doré, saint-jacques et oursin –, eux, arrivent de la baie d’Hudson. La forêt adjacente est la source de sirops d’érable et de bouleau, ainsi que de fleurs sauvages, bases de desserts qui expriment définitivement le paysage environnant.
L’art du réconfort
Post Hotel & Spa, Lake Louise, Alberta
Au cœur des Montagnes rocheuses, Hans Sauter, ex-globe-trotteur, s’est fixé au Post Hotel & Spa, à Lake Louise, dans l’Alberta, à une encablure des pistes de ski du Whitehorn, « Mes clients sont toute la journée dans la nature et lorsqu’ils rentrent, ils ont besoin d’une cuisine réconfortante », explique-t-il.
Or, opérer dans un Parc national n’a pas que des avantages : « Cuisiner les poissons des rivières est interdit, tout comme ramasser les champignons, indique Hans Sauter. En hiver, rien ne pousse et l’hiver est très long ici. ». Le chef compose alors avec les fruits de l’Alberta ou de la Colombie-Britannique voisine, les huîtres de l'île de Vancouver, le homard de l’Atlantique ou la morue de l’île de Fogo.
Se dessine alors un tableau où le chef convoque ses voyages avec les saveurs du yuzu, du gingembre et du miso, et y entremêle sa vision d’un Canada chaleureux comme ce semifreddo qui se truffe de caramel au sirop d’érable et au miso et de popcorns d’érable.
Une ode au terroir
Manoir Hovey, North Hatley, Québec
Après avoir œuvré auprès de Daniel Boulud (« C’est lui qui m’a inculqué la bonne cuisine classique »), en particulier à la Maison Boulud, à Montréal, Alexandre Vachon a opté, il y a cinq ans, pour « un endroit plus calme » dans les montagnes Appalaches, sur une rive du lac Massawippi.
Au Manoir Hovey, à North Hatley, il cultive une grande proximité avec les producteurs locaux, maraîchers et autres fermiers avec lesquels il planifie les semences d’année en année. Alexandre Vachon se passionne pour des légumes oubliés qu’il joue dans une interprétation classique pourtant modernisée par une vision accrue du terroir. La sole à la grenobloise devient du flétan travaillé avec des agrumes et des myrtilles fermentées en guise de câpres.
Il a à cœur de mettre en avant des produits méconnus, comme l’oursin de Gaspésie, le caviar acadien du Nouveau-Brunswick, ou celui du lac Saint-Pierre, dans lequel l’esturgeon sauvage pullule. L’hommage rendu à son territoire est, ainsi, total.
Au cœur de la glace
Fogo Island Inn, Fogo Island, Terre-Neuve
Le Fogo Island Inn est bâti sur une extrémité de l’île éponyme, petit bout du monde, au large de Terre-Neuve, surplombant le puissant océan Atlantique. Devant les baies vitrées du restaurant déambulent des icebergs. Dans cet environnement intact opère le chef Timothy Charles : « Ce lieu est spécial, dit-il, car les problématiques architecturale et culinaire se rencontrent : Comment construire un langage contemporain avec les ingrédients locaux ? » Le climat, rude, nécessite avant tout un solide programme de conservation : séchages, fermentations, boucanages, marinages et autres mises en bouteilles ou bocaux.
Timothy Charles se délecte aussi des champignons sauvages, de la grande variété d’algues, de la rhubarbe du jardin, de baies sauvages – une vingtaine d’espèces différentes poussent dans les landes et les tourbières – . Descendant du Groenland, le courant du Labrador apporte, en son frisquet sillage, crevettes, crabes des neiges et morue. Cette dernière, fumée, se déguste avec un chou arrosé d’une sauce betterave et beurre Jersey, une construction culinaire contemporaine.
© Alex Fradkin / Kristopher Grunert
Les entrailles de la Belle Province
La Tanière3, Québec, Québec
Dans le centre historique de Québec, entre le fleuve Saint-Laurent et la place Royale, le nouveau membre Relais & Châteaux, le restaurant La Tanière3 se déploie sous des voûtes parmi les plus anciennes de la ville : celles des maisons Leber & Charest.
Dans ce lieu patrimonial, François-Emmanuel Nicol s’inspire autant des ingrédients issus des quatre coins de La Belle Province que des récits des explorateurs de jadis sur les produits autochtones. Il n’hésite pas à introduire des plantes indigènes comme le thé du Labrador, le tussilage, la verge d’or, le « foin d’odeur », ou à puiser dans les recettes des Premières Nations. Escorté de piments d’eau, le flan de porcelet – autrement dit : la ventrèche – est cuit en papillote dans une fleur de nénuphar jaune.
Même les desserts rendent hommage aux populations originelles, comme avec ces petits tubercules reliés les uns aux autres qu’on appelle « pommes de terre en chapelet », dont le goût fait penser à la châtaigne ou au marron, avec lesquels le chef érige un Mont-Blanc.
© Simon Ferland
La grande traversée
Restaurant Jérome Ferrer par Europea, Montréal, Québec
Inspiré par les produits de Gaspésie, voilà quinze ans que le chef Jérôme Ferrer a adopté les terres canadiennes… à moins que ça ne soit l’inverse. Depuis la bouillonnante métropole de Montréal, le chef d’Europea rend hommage à cette relation fusionnelle avec sa terre d’accueil, en embarquant ses hôtes dans une grande traversée.
Une invitation multisensorielle à découvrir ces terres du Nord, en les sillonnant d'Ouest en Est. Les plats flambent, fument et exsudent toute la richesse des produits canadiens. Les bouchées apéritives donnent le la, avec un tronc majestueux garni de viandes séchées, suivies d’un cappuccino de homard de Gaspésie, cette péninsule de l’Est canadien et d’un calamar au vin jaune.
Tout au long du repas, des entremets sonores et visuels prolongent l’expérience d’immersion, guident les convives vers des découvertes étonnantes. Et le saumon Sockeye, le bison ou le bœuf d'Alberta n’en sont que plus puissants.
De la ferme à la fourchette
Auberge Saint-Antoine, Québec, Québec
Chez Muffy, la chaleur de la cheminée et des poutres en bois ont un effet immédiat : on se sent comme chez soi dans le restaurant de l’Auberge Saint-Antoine à Québec. Intimement liée à l’ile d’Orléans, à 25km de là, la cuisine des chefs Alex Bouchard et Arthur Muller puise ses racines et ses produits dans les jardins bio de la ferme du Coteau où a grandi Evan Price, l’un des copropriétaires de l’Auberge.
Depuis 2009, le maraîcher Alexandre Faille traque les semences, fait renaître le pois de Charlevoix, un haricot rouge dont il a entendu parler par un ancien, cultive des variétés ancestrales de maïs pour la production de la farine.
Sa curiosité trouve un écho dans les assiettes de Chez Muffy où un carpaccio d’hamachi, une sériole, s'encanaille avec du tapioca, de la citronnelle, du caviar et surtout les radis du jardin. Même au cœur du voyage gustatif, l'Auberge Saint-Antoine maintient l’esprit de la maison, vif et croquant.