Troisgros à Ouches
Habiter le lieu.
« Ce n’est pas ça... » Marquer la différence avec la place de la gare était primordial : d’une maison contrainte par son environnement à se replier sur elle-même, on passe à une autre qui, au contraire, se projette vers l’extérieur. Ici tout est pensé pour favoriser les échanges entre dedans et dehors, comme s’il n’y avait pas de véritable solution de continuité entre les deux.
Ouches évoque ce qu’en Italie on appelle une villa : au pied de la côte roannaise, une « grande » maison voisine avec une ferme, des bois et des prairies, et un étang. Une ambiance rurale, paisible, qu’il fallait préserver.
La tentation du château aurait pu surgir, mais c’eût été mal connaître les Troisgros. Ce n’est vraiment pas ça... L’idée directrice a été, au contraire, de re-ruraliser ce qui pouvait paraître apprêté. Et, bien sûr, partir de l’existant, le comprendre mais aussi le bousculer pour en faire un lieu moderne et chaleureux. Comme Marie-Pierre et Michel l’ont toujours fait, sans jamais de nostalgie.
Il existe une cuisine des restes. Il pourrait y avoir, ainsi, une architecture « des restes », une architecture de la récupération, du réemploi. Une architecture d’expérimentation s’appuyant sur des éléments présents que l’on peut détourner de leur fonction première, en écartant d’autres, en ajoutant quelques uns, et en profiter pour lier le tout grâce à un bâtiment de verre qui se fond dans la nature environnante : c’est le restaurant « Bois sans feuilles ».
Dans le prolongement, la grande maison accueille 12 chambres, conçues comme des chambres d’amis. Vastes et confortables, rien n’est superflu. Elles sont pensées avec un sens du détail, cher à Marie-Pierre.
La cuisine : Michel et César.
Si vouloir comparer des cuisines à des décennies de distance a un sens, on peut observer une certaine constance dans celle des Troisgros : le goût de la lisibilité́ et de la simplicité semble être un trait familial. Cela a sans doute à voir, par-delà les générations, avec ce principe inculqué par Jean-Baptiste à ses fils et à ceux qui travaillaient avec lui. Simple ne veut pas dire cependant manquant d’originalité ou de recherche, mais ces dernières ne doivent en aucun cas céder à l’ésotérisme, au démonstratif. Pour parvenir à cette clarté de l’assiette, des moyens techniques sont mis en œuvre, l’utilisation de la saveur acide, par exemple, dont Michel a su se servir de mille et une manières pour en faire la lumière de sa cuisine, pourrait-on dire, ou un certain minimalisme qui « gomme » l’effort technique, mais aussi des moyens intellectuels, en particulier ce sens de l’époque commun à la famille toute entière, comme ce goût pour l’art contemporain que partagent Marie-Pierre et Michel.
Aujourd’hui, l’arrivée de César aux côtés de ce dernier, d’une certaine manière, infléchit la trajectoire de cette cuisine : d’autres sources d’inspiration entrent en scène pour détacher les différents plans de la composition. À l’acidité vient souvent, dans l’assiette, s’adjoindre le piquant : l’univers hispanique, au sens large, s’invite aux côtés de l’Italie. De même, le cosmopolitisme toujours plus grand de la brigade, aujourd’hui encore plus qu’hier, fait découvrir de nouvelles saveurs et de nouvelles techniques. La plus grande proximité avec la nature offerte par Ouches, la ruralité du lieu, vont certainement conduire cette cuisine vers d’autres horizons encore, d’autant plus que, de ce point de vue, César tire les leçons de son séjour en Californie et déborde d’envies.